Joseph Joubert a 43 ans quand il écrit à Pauline de Beaumont depuis Villeneuve-sur-Yonne, où il s'est refugié. La comtesse est une de ses deux égéries, avec Louise-Angélique de Vintimille. Joubert, ce périgourdin réfractaire, se trouve dans une presque complète solitude. Sa correspondante vient de musarder avec Madame de Staël chez Mathieu de Montmorency, où elle a connu de près tous les membres de Coppet qui entourent ce militaire révolutionnaire. A Sens, en proie à un ennui bestial, Pauline se laisse aller avec langueur à des divagations romantiques que son admirateur ne goûte plus. Il faut dire qu'elle a des excuses. Toute sa famille s'est faite exterminée durant la Terreur et elle souffre d'une tuberculose tenace. Joubert, engage la comtesse à se tranquilliser. Il lui écrit en août 1797 ces mots :
"Je ne crois pas que rien au monde soit plus ennemi du bonheur, ainsi que de toute sagesse, que les passions de l'esprit, quand on les éprouve à toute heure. Celles du sang sont plus sensées. Car remarquez, je vous prie, que les premières ne peuvent être satisfaites ni tous les jours ni tous les mois, ni tous les ans, ni quelquefois tous les vingt ans. Or, y-a-t rien de plus mal vu et de plus propre à tourmenter que de retenir dans son sein et d'alimenter en soi-même, à tous les instants de sa vie, des désirs sans possession et des voracités sans proie ?"
Soucieux du "bonheur" de Pauline, plus que du sien, le moraliste lui fera connaître trois ans plus tard Chateaubriand, qui a son âge à elle. Mal lui en a pris. La comtesse tombe éperdument amoureuse de François : "il joue du clavecin sur toutes mes fibres", lui écrira-t-elle bientôt. Joubert accepte stoïquement sa propre disgrâce. On le sait, la vie n'est pas avare en soubresauts karmiques que l'on aurait tort de négliger. Pauline, bientôt délaissée par son nouvel amant, se meurt. Chagrin et tuberculose ne font décidément pas bon ménage. A la décharge de Chateaubriand, l'auteur du Génie du christianisme est bien trop occupé à vouloir gagner des places et à séduire de nouvelles maitresses, pour se rendre compte du mal-être de sa muse éphémère. Il a accepté un poste d'ambassadeur à Rome, où il pense pouvoir s'adonner à ses diverses passions et se refaire, après avoir flambé auprès de ses amis. Joubert, esprit triste, n'est pas rancunier pour un sou. Il sait se hisser au-dessus de ces sentiments nauséabonds. Sincèrement inquiet des affres auxquelles est confrontées son amie, il enjoint Chateaubriand à la recevoir en Italie au plus vite. Pauline mourra bientôt, non sans avoir fait promettre à François, sur son lit de mort, un peu perfidement tout de même, de s'en tenir à une vie chaste auprès de sa femme.
Etienne Milena ©
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