samedi 30 juillet 2016

Antitweet 78




Inexistant et invisible - Les réseaux sociaux constituent un échange de données innécessaires par essence, car les données nécessaires ne s'échangent pas au vu de tous et forment en soi un foyer peu commun, excluant le tiers agissant, lequel est majoritairement incapable du moindre effort. Or, de tous les abus, nul n'est plus fréquent que celui nourri par l'ambition vaine, que dénote la tendance à se présenter sous les étiquettes d'"écrivain", de "poète", quand bien même il n'y eût aucune oeuvre sur laquelle la vanité eût pu se reposer. Seules l'histoire et la publication d'ouvrages salués par des pairs compétents pourraient justifier de tels usages. L'époque qui nous a vu naître n'a jamais été avare en supercheries, et celle qui consiste à appeler à soi un talent et une notoriété par la manie de l'autodésignation, n'est pas la moins grossière. L'autorité virtuelle de l'écrivain sans écrits et celle du poète sans poèmes s'érige sur la réalité de l'inaccompli, la plus partagée entre toutes: mais le boulanger sans pain serait aussitôt raillé, comme le charpentier sans bois, alors que le non-publié, qui ne produit pas davantage, jouit d'un meilleur sort, traitant avec l'inexistant, que la masse confond volontiers avec l'invisible, et d'autres abstractions qui échappent à son entendement.



Lo inexistente y lo invisible - Las redes sociales constituyen un intercambio de datos innecesarios por esencia, pues los datos necesarios no se intercambian delante de todo el mundo, y forman un hogar poco común, excluyendo al tercero activo, el cual es mayoritariamente incapaz del más mínimo esfuerzo. Ahora bien, se ha de decir que de todos los abusos, ninguno es más frecuente que el derivado de la vana ambición, que se expresa con la tendencia de cada uno a presentarse bajo las etiquetas de "escritor", de "poeta", aunque no hubiera siquiera ninguna obra en la cual se pudiera reposar tal vanidad. Solo la historia y la publicación de libros reconocidos por unos colegas del oficio podría justificar tales usos. La época que nos vio nacer nunca ha sido escasa en imposturas, y la que consiste en inventarse un talento y una fama por medio de la auto-designación no es la menos grosera. La autoridad virtual del escritor sin escritos y del poeta sin poemas se erige sobre la realidad de lo incumplido, la más compartida entre todas. Pero si el panadero es victima de mofas, al igual que el carpintero sin madera, el no-publicado, que no produce más que estos, goza de una mejor suerte, ya que trata con lo inexistente, que la masa confunde con lo invisible, y con otras abstracciones que escapan totalmente a su juicio.

 Etienne Milena ©

Antiweet 77



Vivre équivaut, au mieux, à livrer un autoportrait en pâture à des gens occupés par le leur.


Etienne Milena ©

lundi 25 juillet 2016

Des voisins






Paradoxaux, ces Espagnols. Les Français ne leur inspirent rien qui vaille. Lors des tournois de football, ils sont soulagés de voir leurs voisins gaulois choir aussi bas qu'eux. Quand ils le peuvent, ils nous parlent des camions saccagés à la frontière franco-ibérique, au temps où les frontières existaient. Du chauvinisme franchouillard, quand le leur n'a pourtant rien à leur envier. Durant deux semaines, jusqu'à la tannée que leur a infligé la sélection italienne, des drapeaux rouge et or furent accrochés aux balcons des bas quartiers. On couinait sur les terrasses, devant les écrans HD, entre deux chasses aux Pokémons et des mioches hagards.

De tous les provinciaux, le castillan est le moins commode, le moins xénophile, avec quelques jolies exceptions pour compenser cette sécheresse, outre le cadre de la ville de X, l'une des plus belles de l'Histoire, et les jolies habitantes de ces terres, qui possèdent ce feu inconfondible. Berceau du franquisme, la Castille fut peuplée de paysans, de militaires et de curés durant des décennies. Elle s'est ouverte aux nouvelles libertés avec furie, enfin déliée, jusqu'à la crise immobilière.

Après l'attentat de la Côte d'Azur, en direct sur toutes les chaînes ibériques jusqu'à des heures avancées de la nuit, je me suis rendu à mon nouveau gagne pain, peu jovial, mais moins atteint dans ma chair qu'après celui de novembre. À dire vrai, je n'y pensais pas: plutôt mal réveillé ce jour-là, ce fut par l'effet d'un dîner tardif et non d'un zapping post-traumatique. La secretaire, Marta, pulpeuse et avenante, me sourit dès mon entrée. "Je suis désolée pour ce qui t'est arrivé" m'a-t-elle dit, me tendant un bouquet de glaíeuls blancs de "son jardin". "Que m'est-il arrivé?", me dis-je alors. La France ne méritait pas de gagner face aux portugais, chère Marta, si Gameiro avait joué et le petit Dembélé aussi, nous aurions pu leur en mettre trois, à Pépé et sa bande, mais là, le basque Deschamps l'a joué conservatrice, voilà tout... "Tu as notre soutien, Etienne", ajouta-t-elle en un français à la Victoria Abril.

Je me suis alors dirigé vers la porte de l'insupportable gnome qui me sert de chef, qui était en train de discuter gros sous, selon Marta, avec un proveedor, avec quantité de détails de la plus haute importance, dans une conversation qui meuble presque toujours les matinées de ce genre de cerveaux. Le chef coupa net son acolyte, m'apperçevant dans l'interstice de la porte. "Etienne, j'ai quelque chose pour toi!". Il sortit d'un tiroir une boîte de chocolats belges, et une bouteille de Rioja qui fit le plus bel effet sur son proveedor, qui m'a alors regardé avec un respect inédit, presque gênant, comme si mon génie lui fut soudain révélé.

Au sortir de mon gagne-pain, les bras serrant mes victuailles et mes fleurs, je me dirigeais vers le bus. Une ancienne proprio, la Señora Carmen, octogénaire, me fit un signe de la main. Elle était assise du côté des fossiles, sous la pancarte invitant les personne âgées à s'assoir sans siller parmi les corps prioritaires. Elle se confonda en excuses et me somma de prendre sa place. Je dus me résoudre à accepter, pendant qu'elle se levait, et se glissait entre deux usagers en débardeurs et une poussette où grognait un monstre prêt à nous rendre le voyage impossible. À mon arrêt, la Señora Carmen clama: "Que Dieu te protège ainsi que les tiens!" et je m'en fis à mon destin, le coeur rendu léger par tant de sacrifices.



Je ne savais pas pourquoi la Señora Carmen, jadis si pingre et si déplorablement intrusive, avait été si gentille ce matin. Je gardais le souvenir d'une vieille folle déblatérant sur le prix des ampoules. Je m'approchais de mon édifice et je croisai Manuel et sa compagne. Cet étudiant en informatique et sa bien aimée m'attendaient à mon étage "depuis plus d'une heure", pour m'offrir une tarte aux pommes et des buñuelos, sortes de profiterolles enrobés de miel. "Nous sommes désolés pour ce qui vous passe là-bas! Viens prendre un pot chez nous quand tu le souhaites!".

Mes nouveaux amis m'accompagnèrent jusqu'à ma porte, et la fille - masseuse de profession - ajouta: "dis à ta novia qu'elle vienne avec toi cette semaine, nous vous ferons des massages gratuits à tous les deux." Je pensai qu'il y avait peut-être anguille sous roche mais je me tus, empli de gratitude.



J'entrai enfin dans mon nouvel appartement et allumai la radio, épuisé, m'informant du décompte des morts, et m'attristai pour la première fois de la journée, face aux denrées offertes toute la matinée et que je ne tarderais pas à engloutir, si Dieu le souhaitait.

lundi 4 juillet 2016

Les sains motifs de la reproduction






Hier, G. m'a invité à un mosto et m'a parlé de ses multiples conquêtes durant une demi-heure. 154 en six mois, selon ses dires. D'après lui les couineuses ne prennent pas plus de plaisir que les autres. Sa cartographie était remarquable. Cela composait un atlas qui couvrait les pays les plus exotiques. Il y a chez les hommes à femmes une homosexualité latente qui les incite à parler de leurs succès à la moindre personne du même sexe. J'ignore cependant si G. rêve de m'enculer. Je l'ai félicité et je suis allé au Mercadona acheter un café glacé que j'ai consommé sur la plaza, devant un cèdre qui tendait ses branches dans le ciel nu, comme Boateng devant les Italiens. J'ai repensé à S, une voisine qui m'avait conté le matin même, entre deux rires, que G. était un piteux amant et qu'elle s'était endormie en cours de route sous son ventre bedonnant.

Tenir sa langue, c'est la chose que homo ludens fait le moins. Perro ladrador poco mordedor. Le chien qui aboie est celui qui mord le moins.

La revue Clio, je l'ai dit, est une merveille. Le dossier qui nous est offert par José Javier Esparza sur le djihadisme ne déroge pas à la règle. Cet investigateur entreprend de faire un résumé exaustif et historique de ce concept fondamental de l'Islam. Nul souci de complaisance dans son compte-rendu.

Taqi al-Din Ahmad Ibn Taymiyya (1263-1328) fut le deuxième djihadiste de l'Islam, après son fondateur, un prophète issu d'une famille de négociants exerçant un monopole sur la péninsule arabique six siècles plus tôt. Ibn Taymiyya est ce théologue dont la conception du djihad fut réinvestie par le pakistanais Mandudi et l'égyptien Qutb au XXe siècle, ces deux-là étant les théoriciens à l'origine de l'idéologie de guerre sainte défendue par les talibans et l'État Islamique.

Ibn Taymiyya profita du temps déliquescent des invasions mongoles du XIIIe siécle pour ériger sa nouvelle doctrine. Ghazan, chef mongol fraîchement converti à l'Islam en Mahmud Gazhan, suscita le dégoût de notre théologue qui s'évertua de créer le concept d'"hypocrites" ou de "mauvais musulmans". Le sort offert à ces mauvais musulmans dans le Coran est explicitement décrit depuis la fondation de la religion. Il s'agit de les "frapper au cou et de leur couper les doigts" (sourate 8 verset 12).

Je me souviens de A. K. qui me disait en classe de 5e à quel point les musulmans étaient supérieurs à nous-autres les mécréants. Il m'offrit un prospectus pour apprendre à prier et me cassa ensuite la gueule après avoir détecté l'étendue de ma dériliction.

Souvent, j'assiste à des joutes verbales entre individus, parfois menant à des conflits exacerbés. Un modérateur utilise alors la comparaison entre la Jihad et les croisades chrétiennes pour aténuer ou relativiser les méfaits de l'Islam terroriste. Comparaison totalement inopérante, selon Esparza car le "tu ne tueras point" est un commandement de base mis à l'écart par les chrétiens lors des mouvements belliqueux, quand la Djihad est au fondement même de l'Islam. Esparza nuance tout de même cette assertion en concédant qu'il existe plus d'une ambiguité dans les définitions de la Djihad, que d'aucuns interprétent comme étant "l'effort" célestial, d'autres comme des appels au versement du sang, comme le montrent clairement certains haddiths (ces recueils des paroles du prophète, différents selon les branches chiites ou sunnites et jariyis d'Oman).

Je pensais que le salafisme était une doctrine datant du siècle des Lumières, mais Esparza nous explique que les sectes africaines des almoravides et des almohades qui envahirent l'Espagne médievale furent déjà salafistes (elles prônaient un retour au passé et étaient rigoristes à outrance) au moins autant que les saoudiens qui adoptèrent les croyances de Muhammad Ibn Abd al-Wahhab, figure du XVIIIe siècle, pour créer le wahabbisme dont la diffusion, grâce à l'argent du pétrôle, fut massive au XXe siècle.

Tout cela m'invite à reprendre la lecture d'Henri Corbin, le spécialiste en Philosophie islamique. A priori, la branche chiite de l'Islam à laquelle se raccorde le soufisme, est plus spirituelle et tolérante que le reste. Mais le livre de Corbin me semble tellement détaillé qu'il faudrait avoir lu six fois le Coran et une centaine fois chaque commentateur pour s'y retrouver. Ce qui n'est pas plus aisé pour un musulman que pour un impie.

Il faudrait par exemple garder à l'esprit le fait que l'Islam ne possède pas d'églises, que la transmission des savoirs y est assez chaotique (nul Concile, ni papauté dans l'Islam). Que le Coran est supposément la parole de Dieu dictée puis retranscrite par une tradition orale. Que la succession du calife Otman au VIIe siècle reste l'origine du conflit entre chiites et sunnites. D'un côté Abu Bkr, beau-père de Mohamet. De l'autre Ali (reconnu par les chiites) beau-fils et cousin du prophète. À cette époque déjà, une guerrre civile se préparait.

Enfin, je laisse cela un instant, je saisis une autre revue Clio pour me distraire de ces histoires de lugubre succession. Tiens. Il est question de la venue des samouraïs japonais en Andalousie au XVIIe siècle. Bel article. Certains andalous issus de villages reculés ont une part d'ascendance nipponne, ce que m'avait dit, G..

Tout cela est un fameux micmac et les fables fondatrices des peuples sont si nombreuses, qu'on finit par être reconnaissant d'être un batârd apatride peu enclin aux délires identitaires et finalement assez raisonnable en fait de lubies sexuelles et de narcissisme transgénérationnel et religieux.

De nouveaux fouets







     Les élections ont offert un verdict qu'il faudrait savoir interpréter convenablement. Podemos a perdu un million de votes. Comme dirait Achille Talon, "je m'en tamponne le coloquinthe avec le pinceau de l'indifférence", mais, comme exilé interdit de vote, je suis en droit d'émettre une opinion réfractaire à cette réalité. La lecture du dernier article de Perez Reverte dans El País consolide mes doutes. Selon l'auteur, les espagnols se sentent moins humiliés par le plébiscite des votants d'un parti entièrement corrompu que par la défaite des leurs contre l'Italie lors de la Coupe d'Europe de football. Une population qui se goinfre de programmes propagandistes et de télé-réalité à longueur de journée ne peut pas en sortir indemne. Certes, voter Podemos, ce n'est pas du tout rejoindre l'axe du bien. Le cynisme de ce nouveau parti, le seul conciliable avec les affaires de politique, existe. Mais celui du Partido Popular, érigé sur les bases du franquisme, l'est à un degré inégalé.

      Houellebecq a sans doute raison quand il dit, dans la dernière entrevue qui lui est faite dans le même journal, que "les Espagnols se haïssent. Les Français aiment se critiquer mais détestent que les autres s'en chargent." Il y a une indéniable composante masochiste dans la population espagnole. Les Français peuvent voter pour un gredin du type Sarkozy mais ils l'éjecteront tôt ou tard, au moindre Bigmalion, à la moindre enveloppe suspecte. Encore que... Les Espagnols les plus imbibés de franquisme, qui sont néanmoins minoritaires, assument les idées de vol institutionnalisé, de corruption, de mal aux dépens de toute tentative de changement. Ils pestent devant un pauvre bougre recyclant ses bouteilles de verre, à cause du bruit occasionné, et de l'idéologie qu'implique son geste, trop progressiste. Ils sont conservateurs par foi. Je crois également déceler chez ces êtres les effluves d'un catholicisme intensément vécu et plus que jamais regretté.

       Puisque l'on parle de dictature, la revue d'histoire Clio me permet de mettre en perspective cette sombre réalité. Il s'agit selon moi de la meilleure revue espagnole. Un bijou du genre que je consomme quand je le peux. Aucune publicité ne vient l'entâcher. Le dossier que j'ai sous la main sur les comptes de Carmen Polo, la veuve de Franco qui reçut une pension plus élevée que les salaires des chefs du gouvernement qui se sont succédé (pas de s à "succédé" dans ce cas) à la mort du Caudillo, ce dossier disais-je, est un apport à la justice qu'on est en droit d'attendre. Lassé de ces turpitudes acceptées par tout le monde, j'ouvre presque au hasard le Journal de Corrado Alvaro, "Quasi una vitta", dans la traduction de Claude Poncet et de Georges Pirouet, et je tombe sur ces mots:

        "En lisant les mémoires que publient les journaux sur le régime passé, la possibilité nous est donnée de juger cette époque et nous restons stupéfaits de ne pas trouver un seul personnage qui, tenant entre ses mains le destin d'un peuple, ait agi autrement qu'inspiré par la mesquinerie et j'irais jusqu'à dire la puerilité. Quand on pénètre de semblables secrets, communs d'ailleurs à César ou à Napoléon eux-mêmes, on est frappé de la petitesse des motifs qui ont décidé du sort des peuples entiers: les femmes, l'égoïsme familial, la rivalité entre amis, la haine des amis d'autrefois. Le pouvoir, quand le bon sens des citoyens ne le modère pas, a son péril fatal dans une sorte d'érotisme du commandement. Tous les souvenirs que j'ai lus jusqu'ici font voir l'histoire du régime comme une histoire érotique. Le despotisme politique porte au despotisme sexuel. L'ordre des choses est renversé: les jeunes, au lieu de se donner du bon temps, comme il appartient à leur âge, souffrent et meurent dans les guerres, et les vieux singent la jeunesse."

Le châtiment recherché par une grande partie de la population de ce pays me fait penser à ce client de Belle de Jour qui gronde Catherine Deneuve pour ne pas avoir su l'humilier convenablement, en suivant les formes prescrites. Salo de Pasolini ne montrait pas autre chose que cette réalité sauvage qui pousse les hommes à vouloir sans cesse être châtiés par les mêmes fouets et par des bourreaux reconnaissables.