Ce matin, j’ai fait le
ménage.
Je fais partie de la première
génération qui a pu échappé au service militaire, mais j’ai gardé l’habitude de
frotter le sol et remuer la poussière sans ordre depuis en-haut dès mon plus
jeune âge. Cela me permet également d’écouter de vieilles musiques oubliées sur
ma radio, qui lit les Mp3. Emile et image ou Félix
Gray font mon ravissement. Ça repose l’esprit. Cette déconnexion
progressive des neurones est en même temps très utile. On sort de cette
méditation avec un appartement remis à neuf, et des sols qui brillent et
sentent le citron.
C. a essayé de me pousser il y
a peu dans une classe de méditation, c’était dans le sous-sol d’une entreprise
de co-working. Des câbles pendaient au plafond, on aurait dit que nous allions
entamé quelque orgie dans un hangar désaffecté ou un obscur shoot collectif. La
vérité, c’est que nos actes semblaient prémédités par une loi tacite, celle qui
consistait à ne pas laisser l’autre deviner nos multiples névroses. Cela
ressemblait à une banale réunion d’alcooliques anonymes venus cette fois-là
pour s’étirer les fesses. La pudeur qui émanait du groupe était forcée. J’étais
sorti de cette première session plein d’idées sombres. Le discours du yogi ne m’avait
pas plu. La respiration en kapalobati m’avait laissé plus nerveux que je
lorsque j’était entré. Je suis persuadé depuis qu’un type de surventilation
peut avoir une incidence néfaste sur l’anxiété.
J’avais déjà essayé le
kundalini avec une jeune psychologue, M. recommandée par mon voisin, un
peintre expressionniste qui travaillait dans un abattoir de nuit. M. était une
jolie castillane, avec des rondeurs qu’excusait sa grande sensualité. J’admirais
sa tonicité et sa manière d’enrouler sa serviette blanche autour de sa tête
avant chaque séance. Une mèche dépassait parfois de ce fin tissu. À ses côtés,
un type louche, qu’on devinait éperdument amoureux d’elle, assistait à ces
galipettes mystiques avec passion. Son excès de zèle le trahissait. Je me
souviens très bien du creusement des reins de M. quand elle nous faisait nous
accroupir et faire des sortes de pilates mélangés à des salutations au soleil.
Nous récitions des mantras le vendredi à 6h du matin, jusqu’à l’apparition du
soleil, justement. Puis nous déjeûnions. Elle nous faisait du thé à l’orchidée
sauvage. J’apportais quant à moi des pitchs fourrés au chocolat. J’y suis allé
trois fois. Mais la paresse me gagna et j’oubliais bien vite ce devoir
hebdomadaire sur moi-même.
Je m’inscrivis une fois à la Bio Danza de l’association des voisins. Nous nous
caressâmes la tête et dansâmes sur "Happy feet" dès le premier
jour. Tant de proximité fit paradoxalement s’estomper toutes les
pensées interlopes. J’eus néanmoins la bonne idée d’être le seul garçon, ce qui
évita les jalousies et autres comparaisons mesquines. Quelques femmes en
pré-retraite venaient s’ajouter à la fête et en sortaient revigorées. Elles
allaient ensuite à l’herboriste de la même rue acheter du pain intégral et
retrouvaient leurs maris dépressifs à la fin de la journée. Je les croisais
parfois dans le centre ville, accompagnés de ces pauvres bougres, dans la
routine de diverses courses. Nous échangions des sourires empreints de
bieveillance et de compréhension mutuelle.
Mais j’ai délaissé la Bio
Danza au bout de cinq sessions. Les maris nous surprirent en train de nous
chatouiller les aisselles sur du Sting, car la monitrice avait
laissé la porte entrouverte pour faire circuler l’air. Je ne voulais pas de
conflits. Ma lâcheté fit le reste. Je m’éclipsai.
À présent, je médite une à
deux fois par semaine avec ma serpillère et Emile et Image, avec
cette sensation d’atteindre ce ramollissement jovial des sentiments tant
recherché.
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