Lucas et moi, avons monté un
Ciné Club dans son appartement, avec deux invités de choix pour nos
deux premières sessions : nos pauvres personnes. Le premier film, de
très bonne facture, a été le choix de Lucas, qui n'a jamais eu de
cesse de me dire qu'il s'agissait d'un peliculón, à savoir d'un
grand film qu'il fallait me montrer au plus vite : L'exorciste. Film qui date de 1973 ! N'aurons-nous jamais assez souligné que cette date est au niveau cinématographique particulièrement importante. Amarcord et La nuit américaine ou Papillon naquirent en 73 ! Dans le film de Friedkin, ex-mari de Jeanne Moreau, j'ai
cru noter l'influence de la Nouvelle Vague dans l'intérêt porté par le réalisateur aux menus détails du quotidien, et le scénario
m'a semblé un travail digne d'intérêt. Nulle daube hollywoodienne
à la vue cet après-midi-là, ni de peur distillée pour un public
amateur d'émotions factices. Pas d'immondices tarantinesques ni scorcesiennes à la vue. Dans L'exorciste, l'attaque au puritanisme américain est
édifiante, constante. La critique antipsychiatrique reste inscrite
en filigrane également. Quant à la construction narrative, je fus
saisi par la dernière scène, triangulaire, déconcertante car
déliant en une chute vertigineuse tous les noeuds de la trame. Je
n'ai pas trouvé meilleur dénouement depuis le développement des
photos de l' Ascenseur pour l'échafaud, vu le mois
dernier. Le curé qui appelle à lui le diable et se jette ensuite
par la fenêtre m'a semblé une image puissante du sacrifice et de la
résolution d'un problème majeur par delà bien et mal.
Le deuxième film, que
j'ai moi-même choisi est Welcome to New York d'Abel
Ferrara. Tourné en dix-huit jours, il traite de l'affaire DSK, sans
plus de concessions à la morale publique. Dès les premières scènes, ce film vaguement pornographique se mue en une pièce shakespearienne. Au
dernier MacBeth, si publicitaire et ponctué de séquences surjouées
par une Marion Cotillard glaciale, Ferrara ajoute une mise en scène
bricolée et tremblante, mais foncièrement juste. D'abord, Depardieu se fait
sucer par quantité de prostituées voraces. Puis il organise des agapes
orgiaques avec ses camarades du FMI dans des lugubres palaces. Les
plans de caméra font penser à des screeners achetés sur des
marchés de contrebande turcs. Ils nous montrent Depardieu geindre et
grimacer, faire des blagues salaces à son gendre, se goinfrer au coin d'une table (oui, en ce cas, le rôle n'est pas forcément de composition). Welcome to New-York représente un voyage dans l'abjection qui exige une grande part de négligence. Un retour en Barbarie, pour reprendre l'expression chère à Eugène Green pour définir son lieu de naissance. Négligence formelle donc, pour ce film : le
contraire eût été irrecevable.
Jacqueline Bisset et
Depardieu portent des dialogues souvent improvisés, mal accordés. Parfois il
radotent et cela irrite un peu, convenons-en. Mais le reste n'est pas entièrement à jeter. Je transcris le monologue final de Dévereaux, ponctué d'un
traveling montant sur un building, symbole de domination, dans la nuit newyorkaire. Le personnage principal vient d'engager un bref échange avec la nouvelle bonne hispanique. Depardieu parle en français, sur des images de manifestantes noires
entrant dans une fourgonette :
"Depuis mon enfance,
mon esprit a été rincé, rincé par mes parents, par mes
professeurs, mes supérieurs au travail. J'ai de la chance. Je ne
suis pas chrétien. Mais j'aimerais dire ça : quand je mourrai, je
viendrai embrasser le cul de Dieu pour toujours. J'ai trouvé mon
Dieu. Toi. Mon premier Dieu, non, je ne l'ai pas trouvé à l'Église,
mais dans une salle de classe: c'est l'Idéalisme. Quel Dieu
magnifique ! Croire que tout irait bien. J'étais dans ce temple
qu'est l'Université, d'abord comme étudiant, puis comme professeur,
et je me suis laissé envelopper de cette lumière creuse, oui, la
Justice. Nous devions redresser tous les torts. La faim dans le
monde ? Non, tout le monde mangerait à sa faim. La pauvreté ? Un
souvenir lointain dont l'existence serait difficile à même
imaginer. La richesse serait distribuée, à chacun selon ses
besoins. (...)"
Inutile d'ajouter que Lucas a
adoré ce film et trouvé qu'il formait, avec l'Exorciste, un
dyptique cohérent sur le Mal et ses avatars. Nous organiseront prochainement d'autres sessions
de Ciné-Club, des séances qui me rappeleront peut-être mes virées
au cinéma Cujas ou sur la rue Mouffetard, dans des petites salles
fréquentées par quelques irréductibles au coeur de froids
après-midis d'automne. Un débat avec un public choisi, de préférence
féminin, pour éviter les combats de coqs, serait souhaitable. Je
lui ai proposé de continuer par un cycle de cinéma tchèque, des
Petites Marguerites aux films d'animation de Jan Svankmajer.
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