Quel plaisir que d'ouvrir enfin mon Chaos brûlant !
Cet O.L.N.I (objet littéraire non identifié, même par la sagacité
des lecteurs les plus avertis) de 403 pages n'en a pas fini de faire
couler l'encre des admirateurs et des jaloux.
Son auteur est le grand Stéphane Zagdanski. Je le
recommande à chaque francophone avide de connaître ce qui se fait
de mieux dans notre pays, littérairement parlant.
S.Z., créateur
érudit zozotant avec passion dans son atelier de peintre et d'études
talmudiques, peignant sur de magnifiques indigènes nues comme jadis
Yves Klein barbouillant ses modèles, fascine les internautes. Le
physique de notre auteur fait immanquablement penser à un croisement
de Roman Polanski et d'Henri Guybet, avec quelques traits de Daniel Ceccaldi,
le père de la Christine des films de Truffaut. La physiognomonie
nous donne le profil d'un type doux à la Tati, observateur et méditatif, qui
ne délaisse pas les joies de la chair avant d'écrire. Une certaine composante narcissique se dégage de ce regard, mais elle est propre aux écrivains et quand elle est justifiée par la présence du talent, on la pardonne volontiers.
Essayons d'esquisser une table de
comparaison pour nous orienter dans ces remarquables feuillets. Chaos brûlant est à la fois:
- une Maison des feuilles française relatant les
aléas de l'économie mondiale.
- une histoire littéraire de d'argent (mais plus
romanesque que celle de César Rendueles, cet illustre inconnu en sol
français)
- un musée d'excentricités décadentes
- une "Encyclopédie critique en farce"
(expression de Flaubert qui qualifiait ainsi son Bouvard et Pécuchet)
- un comic-romance farfelu à la Fielding
- un humoreszk hongrois propre au style du
merveilleux Frygies Karinthy
- un roman picaresque politique et cybernétique
pour "alter-dingos"
- une fresque post-exotique volodinienne
- un biopic fragmenté
- un entremêlement de langues (jusqu'à l'inuit y
est pris en considération sur une liste de trois pages) et de voix, sans formalisme facile.
En un mot, Chaos brûlant est un magma d'érudition et de langage
foisonnant, incontournable en nos temps de disette intellectuelle à
la sauce Twittbook.
Il s'agit aussi, et on l'oublierait presque, du
compte-rendu poilant de l'affaire DSK, en un style à la fois
classique et joliment pamphlétaire, qui sert de prétexte à une
virée au sein de notre modernité. Les portraits au vitriol de
Chouchou Sarkozy (mais quel con!) ou du propre DSK par des chamanes agités du bocal
valent le détour. On y apprend surtout quantité de choses, du
marketing de Bernays à la rencontre de Daguerre et de Morse. Ce
livre enseigne et renseigne.
C'est pour cela qu'on l'étudiera bientôt, n'en doutons pas, dans les
collèges et les Alliances françaises, puisque les facultés,
emplies de sinitrose rébarbative, ne font plus le boulot.
Les quelques bémols que j'offrirais (une petite allusion tautologique à l'effarante médiocrité de Bush, la rencontre de Picasso et d'Anne Saint-Clair et l'analyse poussive qui en découle) sont bien peu de choses pour ternir une oeuvre remarquable.
Ce roman possède enfin un intérêt majeur en ce
qu'il préfigure l'étape pictographique de Zagdanski : ce projet-là,
l'ultime, il l'a appelé Rare, du latin rarus, disséminé. Un livre
écrit en anglais sur la face du monde entier, fragmenté en de
multiples brisures, à l'image de notre époque, qui ne tient pas
dans une seule définition, dans un seul concept précaire. Je fis
référence il y a quelques mois à cette oeuvre révolutionnaire,
dont les pages sont distribuées sur les diverses faces du globe en
différents supports, et qui méritent l'attention de chacun.
(sur ce lien, le site de Stéphane Zagdanski)
(sur ce lien, le site de Stéphane Zagdanski)
Etienne Milena, Cadiz, le 29 août 2016