Houellebecq
a sans doute raison quand il dit, dans la dernière entrevue qui lui est faite dans
le même journal, que "les Espagnols se haïssent. Les Français aiment se
critiquer mais détestent que les autres s'en chargent." Il y a une indéniable composante
masochiste dans la population espagnole. Les Français peuvent voter pour un
gredin du type Sarkozy mais ils l'éjecteront tôt ou tard, au moindre Bigmalion,
à la moindre enveloppe suspecte. Encore que... Les Espagnols les plus imbibés de franquisme, qui sont néanmoins minoritaires, assument les idées de vol
institutionnalisé, de corruption, de mal aux dépens de toute tentative de
changement. Ils pestent devant un pauvre bougre recyclant ses bouteilles de verre, à cause du bruit occasionné, et de l'idéologie qu'implique son geste, trop progressiste. Ils sont conservateurs par foi. Je crois également
déceler chez ces êtres les effluves d'un catholicisme intensément vécu et plus
que jamais regretté.
Puisque l'on parle de dictature, la revue
d'histoire Clio me permet de mettre en perspective cette sombre réalité. Il
s'agit selon moi de la meilleure revue espagnole. Un bijou du genre que je consomme
quand je le peux. Aucune publicité ne vient l'entâcher. Le dossier que j'ai
sous la main sur les comptes de Carmen Polo, la veuve de Franco qui reçut une
pension plus élevée que les salaires des chefs du gouvernement qui se sont
succédé (pas de s à "succédé" dans ce cas) à la mort du Caudillo, ce
dossier disais-je, est un apport à la justice qu'on est en droit d'attendre.
Lassé de ces turpitudes acceptées par tout le monde, j'ouvre presque au hasard
le Journal de Corrado Alvaro, "Quasi una vitta", dans la traduction
de Claude Poncet et de Georges Pirouet, et je tombe sur ces mots:
"En
lisant les mémoires que publient les journaux sur le régime passé, la
possibilité nous est donnée de juger cette époque et nous restons stupéfaits de
ne pas trouver un seul personnage qui, tenant entre ses mains le destin d'un
peuple, ait agi autrement qu'inspiré par la mesquinerie et j'irais jusqu'à dire
la puerilité. Quand on pénètre de semblables secrets, communs d'ailleurs à
César ou à Napoléon eux-mêmes, on est frappé de la petitesse des motifs qui ont
décidé du sort des peuples entiers: les femmes, l'égoïsme familial, la rivalité
entre amis, la haine des amis d'autrefois. Le pouvoir, quand le bon sens des
citoyens ne le modère pas, a son péril fatal dans une sorte d'érotisme du
commandement. Tous les souvenirs que j'ai lus jusqu'ici font voir l'histoire du
régime comme une histoire érotique. Le despotisme politique porte au despotisme
sexuel. L'ordre des choses est renversé: les jeunes, au lieu de se donner du
bon temps, comme il appartient à leur âge, souffrent et meurent dans les
guerres, et les vieux singent la jeunesse."
Le
châtiment recherché par une grande partie de la population de ce pays me fait
penser à ce client de Belle de Jour qui gronde Catherine Deneuve pour ne pas
avoir su l'humilier convenablement, en suivant les formes prescrites. Salo de
Pasolini ne montrait pas autre chose que cette réalité sauvage qui pousse les
hommes à vouloir sans cesse être châtiés par les mêmes fouets et par des
bourreaux reconnaissables.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire