« […]
Quelle abomination pour moi que ces
soirées, par bonheur comptées, au cours desquelles on effleure entre inconnus
maints sujets n’ayant pour quiconque de véritable attrait que celui de
s’entendre parler, de tenir sa partition dans le concert rapidement aussi
ennuyeux qu’il se peut ; et Dieu sait que lorsque se présentent de telles
situations, j’y tiens la mienne de la façon la plus lamentable, empêché de
toute sincérité, de tout élan devant l’indifférence générale présidant à ce
genre de rencontres, au reste la plupart du temps fortuites. Combien parfois
n’ai-je pas rêvé de faire un esclandre, de déclarer bravement à ces mollusques
qui m’entouraient que leur compagnie était pour moi sans intérêt, ni à eux la
mienne, et qu’en conséquence mieux valait nous séparer sur le champ ; mais
la courtoisie, il va de soi, me retenait. Chacun consent donc à être inférieur
à lui-même avec engourdissement, jusqu’à ce que quelqu’un ait enfin l’esprit de
lever le camp, ce à quoi tout le monde s’empresse sans rechigner. Se
trouverait-on dans ces séances face à un génie qu’il nous semblerait plat comme
un guichetier ou que nous ne douterions pas même de sa présence. Il n’y a
d’entretien d’un peu de sens et de profondeur que dans le tête-à-tête. Le tiers
vient toujours en amenuisement. »
(Louis
Calaferte, Etapes, Carnets VII, 1983)
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