Contrairement à une idée reçue, la nouvelle crédibilité dont jouissent les scientifiques au cours du XIXe siècle en France n’est que très tardivement effective. On garde les traces profondes de la Révolution et des malheurs vers lesquels la philosophie des Lumières a mené le pays. La contre-révolution, dont l’influence sur le premier quart du siècle est bien plus déterminante que la pensée libérale, discrédite l’homme de lettres et le philosophe et réhabilite dans le même temps la figure du poète, nouveau guide spirituel du peuple. Paul Bénichou en a parlé avec une hauteur de vue jamais égalée [1]. La contre-révolution, qui a marqué les jeunesses respectives de Lamartine, Hugo ou encore Vigny, se caractérise par « une critique des prétentions de la raison, une réhabilitation multiforme du préjugé et des institutions qui reposent sur lui […] »[2].
Le XIXe siècle n’exclut pas pour autant l’idée d’un absolu, encore moins celle d’une
grandeur morale de l’homme. C’est avec infiniment de précaution que les hommes
de science doivent se lancer dans leurs recherches. Ils devront, quoiqu'il arrive, en rendre compte
à Dieu. L’histoire montre en effet aux protagonistes du siècle que toute
tentation d’athéisme ouvert mène à la ruine : dans ses études, ce
scientifique auquel on offre encore peu de crédit doit donc prendre en
considération l’aspect éthique (cette éthique relève du plus simple utilitarisme révolutionnaire, le bonheur du plus grand nombre est visé, sans
que l’on se doute encore des crimes sous-jacents à une telle aspiration) le
religieux et le positif. Les découvertes scientifiques doivent s’inscrire dans
la bonne marche du genre humain, sous le regard de Dieu. On sait qu’Auguste
Comte eut pour maître un des grands libéraux de son époque, Saint Simon, et
qu’il construira sa doctrine, le positivisme, à partir des propres conceptions philosophiques et religieuses de
l’auteur du Nouveau Christianisme.
Son idée centrale prendra la forme d’une foi dans le progrès de l’humanité. Disons, pour faire court, que cette idée de progrès se termine avec le récit Clarté d'Henri Barbusse, exposé politique désenchanté, et première tentative de coup de boutoir féministe et fraternaliste dans les Lettres françaises. L'histoire littéraire aura beau jeu de garder un auteur du nom bien plus tardif de Sartre comme parangon de l'écrivain engagé, les daubes de ce dernier sont rétroactivement vite écrasées par les coups de poing de Barbusse, non moins criminogènes mais bien plus enlevés. La métamorphose d'une idée devenue idéologie (celle de l'homme perfectif) succède donc au charnier de 14/18, qui clôt véritablement le siècle. La foi dans le progrès de l'homme hors des machines de production se matérialise donc par l'idéologie communiste, non plus par le système industriel, lequel se mue en simple gestionnaire du désastre. Barbusse ne fait que l'annoncer. Après lui, l'homme ne peut plus croire aux machines et sa religion, non moins triste, sera celle de l'Humanité, de sa propre (et sordide, sur ses grandes lignes) espèce. Le XXe siècle ne fera qu'offrir une bien triste confirmation à cette idée. Mais revenons-en à nos moutons.
Le propos des scientifiques, au XIXe siècle, n’est pas d’envisager un monde sans Dieu, comme une partie des Lumières s’y attelait, mais de mettre l’exigence de leurs recherches au niveau de Dieu, de hisser l’homme à un nouveau pan de l’existence, celui de l’harmonie terrestre succédant à sa chute.
Le propos des scientifiques, au XIXe siècle, n’est pas d’envisager un monde sans Dieu, comme une partie des Lumières s’y attelait, mais de mettre l’exigence de leurs recherches au niveau de Dieu, de hisser l’homme à un nouveau pan de l’existence, celui de l’harmonie terrestre succédant à sa chute.
Le courant scientiste domine
idéologiquement la deuxième moitié du XIXe siècle français[3]
et a pour chantres Marcelin Berthelot et Ernest Renan. Ce dernier qui n’est
pourtant pas le plus fervent des dévots [4],
nous offre cette définition du savoir dans L’avenir de la science :
« Savoir est le premier mot du symbole de la religion naturelle, car savoir est la première condition du commerce de l’homme avec les choses, et c’est cette pénétration de l’univers qui est la vie intellectuelle de l’individu : savoir, c’est s’initier à Dieu. »[5]
Flaubert, lui-même fils de médecin, fréquentera longtemps Renan avec qui il pourra discuter de la nouvelle aura des savants [6] la place de la science dans la société moderne qui influence jusqu’à la méthode créatrice de l’écrivain. La postérité à érigé ce dernier au rang des apôtres de la phrase , de l'absolu de la forme, ce qu'il fut très certainement. Nous ne devrions néanmoins pas oublier la part documentaliste essentielle à l'élaboration de l'oeuvre de l'Homme-Plume [7], toute scientifique. On ne saurait pourtant inventer une quelconque croyance de Flaubert au scientisme de son époque. Ce pharmakon là (le seul qui obsède l'apothicaire Homais) sera ridiculisé dans l'épisode du piet-bot de Madame Bovary et dans l'oeuvre testamentaire de l'écrivain, l'inégalable Bouvard et Pécuchet.
« Savoir est le premier mot du symbole de la religion naturelle, car savoir est la première condition du commerce de l’homme avec les choses, et c’est cette pénétration de l’univers qui est la vie intellectuelle de l’individu : savoir, c’est s’initier à Dieu. »[5]
Flaubert, lui-même fils de médecin, fréquentera longtemps Renan avec qui il pourra discuter de la nouvelle aura des savants [6] la place de la science dans la société moderne qui influence jusqu’à la méthode créatrice de l’écrivain. La postérité à érigé ce dernier au rang des apôtres de la phrase , de l'absolu de la forme, ce qu'il fut très certainement. Nous ne devrions néanmoins pas oublier la part documentaliste essentielle à l'élaboration de l'oeuvre de l'Homme-Plume [7], toute scientifique. On ne saurait pourtant inventer une quelconque croyance de Flaubert au scientisme de son époque. Ce pharmakon là (le seul qui obsède l'apothicaire Homais) sera ridiculisé dans l'épisode du piet-bot de Madame Bovary et dans l'oeuvre testamentaire de l'écrivain, l'inégalable Bouvard et Pécuchet.
Il existe donc une antinomie de surface entre la religion et la science. L'une comme l'autre prétendent éclairer l'humanité, mais par des biais radicalement différents. Puisque Steiner vient de mourir, nous lui ferons ici un hommage en usant de sa phrase beckettienne : la science comme la religion échouent chaque fois mieux.
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Le XIXe siècle est marqué par l'explosion de l'industrialisation (avec ses prolétaires que Zola saura décrire à la fin du siècle, et ses bourgeois propriétaires des moyens de production : l'Arnoux de l'Éducation sentimentale de Flaubert nous servira d'archetype à ce dernier groupe). Le nouveau credo à cette restructuration de la société massifiée est lui, résolument optimiste (c’est ainsi que le terme de « positivisme » est
doublement heureux) : cette démarche de l’ensemble des scientifiques au XIXe siècle, n’est pas
un phénomène qui se limite à la société française. Outre-Manche, la religion et
la science font bon ménage bien avant qu’un tel mariage de raison ne soit
effectif en France. Le début de l’ère victorienne annonce une nouvelle
conciliation du scientifique profane et du sacré, dont la figure royale est la
première émanation. Le mouvement évangélique, issu du méthodisme, propage un
code d’éthique où « la philanthropie est justification de la puissance
et de l’argent »[8].
L’optimisme religieux « rejoint curieusement la foi dans la raison de
l’utilitarisme, la grande doctrine rivale. »[9].
Cette influence colonisatrice de l'anglais, par le langage et les réminiscences d'un epistemé ayant perduré à travers les décennies, trouve aujourd'hui son apogée, avec l'avènement du slang anglo-américain cybernétique, la virtualisation des rapports humains et l'hyper-individualisme délétère de l'homme devenu paradoxalement plus communautaire que jamais. Le monde apple-isé, pomme à laquelle tout le monde croque à pleines dents, marque-t-il, sous cet aspect, un progrès ?
Cette influence colonisatrice de l'anglais, par le langage et les réminiscences d'un epistemé ayant perduré à travers les décennies, trouve aujourd'hui son apogée, avec l'avènement du slang anglo-américain cybernétique, la virtualisation des rapports humains et l'hyper-individualisme délétère de l'homme devenu paradoxalement plus communautaire que jamais. Le monde apple-isé, pomme à laquelle tout le monde croque à pleines dents, marque-t-il, sous cet aspect, un progrès ?
Etienne Milena ©
[1] Ce
qui ne signifie aucunement que le XVIIIe siècle ait voulu dénigrer cette figure
du poète [Paul Bénichou nous rappelle par exemple la place de la poésie
chrétienne et l’intérêt du XVIIe et XVIIIe siècle pour la poésie hébraïque
(Paul Bénichou, Le sacre de l’écrivain, Ibid. (cf. note 5), p. 83). La
poésie était seulement subordonnée à la philosophie (cf. Ibid., p. 56)]. Les
philosophes se penchaient surtout sur elle pour illustrer les théories du
langage primitif (cf. Ibid., p. 65) et leur pensées sociales. Le courant de
pensée de Saint-Martin, l’illuminisme, qui marque la fin du XVIIIe
siècle, fait du poète l’égal du théosophe (cf. Ibid., p. 109). Paul
Bénichou voit d’ailleurs dans ce courant
les prémisses du romantisme du siècle suivant (cf. Ibid., p. 96).
[2] Paul Bénichou, Ibid., p. 114
[3] cf. Jean-Paul Santerre, Ibid.
[4] Renan
prit conscience de la fragilité théorique du dogme du christianisme à la fin de
ses études, ce qui lui fit embrasser une carrière scientifique (cf. Jean
Gaulmier, Ernest Renan, Encyclopédie Universalis, version 8, 2003)
[5]
Ernest Renan, Avenir de la science, II, Œuvres, Tome III, 1890, p. 741.
Nous citons Renan a dessein car « [son] œuvre […] résume à elle
seule, par ses défauts comme par ses qualités, le XIXe siècle français. »
(Jean Gaulmier, op. cit.)
[6]
Expression utilisée par Sophie Schvalberg, Bouvard et Pécuchet,
Collection « Connaissance d’une œuvre », Boréal, 1999, p. 70
[7] La critique Stéphanie Dard-Crouslé a raison de souligner
qu’« une part importante de l’esthétique de Flaubert s’est elle aussi
construite en référence directe à la science, et plus particulièrement aux sciences
de l’observation. » (Stéphanie Dard-Crouslé, Bouvard et
Pécuchet, une « encyclopédie critique en farce », Belin, Lettres
Supérieures, 2000, p. 10)
[8] Roland Marx et Louis Bonnerot, Epoque victorienne, CD-ROM
Universalis, 2003I
[9] op. cit.
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