J'offre au lecteur une traduction personnelle, depuis l'espagnol de ce fragment du Spectre d'Alexander Wolf, entre les crachats de quelques visiteurs dont je me passerais bien. Mais non, je me l'offre à moi-même, car le lecteur ne me dit rien qui vaille. Les français n'ont qu'à acquérir la traduction en leur langue, qui existe et qui leur sera bénéfique ! Vla! Et bon vent!
De Dostoievski à Nabokov (contemporain de Gazdanov), la littérature russe a souvent utilisé le thème du "Double". Dans le cas de ce roman, dont la trame est un joyau du genre, Gazdanov met en scène un assassin (bien que le crime eut lieu dans un cas de légitime défense, en pleine guerre) découvrant que sa victime a survécu et est devenu un écrivain qu'il relate la scène de cette fausse mort dans son récit I'll come tomorrow.
Avec une rare élégance et un érotisme délicat, Gazdanov arrive à donner une transparence à la fois onirique et charnelle à son récit. Plus que dans le Requiem de Tabucchi, ou dans Pedro Paramo de Rulfo, la présence des corps vivants est indémêlable de celles des spectres (celui de Wolf, celui de Yelena, l'amante du narrateur).
Il n'est pas surprenant de voir que les plus grands écrivains français soient d'origine slave.
Ce fragment relate la rencontre entre le narrateur et sa victime. Le reste est une divagation magnifique sur la mort et la culpabilité.
"C'était un
interlocuteur intéressant, il savait bien des choses, il possédait un point de
vue original, et je compris précisément pourquoi cet individu avait pu écrire
ce livre. Ce soir là, il me donna l'impression qu'en réalité, tout lui était
indifférent: il parlait des choses comme ci celles-ci ne l'affectaient pas
personnellement. Sa philosophie se caractérisait par une absence d'illusion :
le sort de chacun n'est pas important, la mort nous accompagne toujours,
c'est-à-dire, ce qu'il appelait l'interruption du rythme habituel, parfois de
forme subite, et qui était la loi; chaque jour, naissaient des dizaines de mondes
solitaires, d'autres mourraient, et nous passions à travers ces catastrophes
cosmiques invisibles, en supposant de manière erronnée que ce morceau réduit
d'espace que nous voyions était la reproduction du monde. Pourtant, Wolf
croyait en un système général difficile de définir, éloigné de quelque harmonie
hydillique que ce soit: ce qui nous paraissait parfois l'oeuvre d'un hasard
aveugle était souvent la fatalité. Il supposait que la logique n'existait pas
en-dehors des constructions conventionnelles et involontaires, presque
mathématiques; que la mort et le bonheur constituaient l'essence d'un même
ordre, puisque dans un cas comme dans l'autre, c'était l'idée d'immobilité qui
prédominait.
- Et les milliers
d'existences heureuses?
- Oui, ce sont
les personnes qui vivent comme les chiots qui n'ont pas encore ouvert les yeux.
- Pas
nécesserairement, le bonheur peut recouvrir d'autres aspects.
- Si nous
possédons ce féroce et triste courage qui oblige l'homme à vivre avec les yeux
ouverts, est-il possible d'être heureux? Nous ne pouvons pas même imaginer que
celles que nous considérons les plus merveilleuses aient été heureuses.
Shakespeare ne fut jamais heureux. Michelange non plus.
- Et
Saint-François d'Assise?
Nous traversâmes
un pont de la Seine. Au-dessus du fleuvre flottait une brume matinale, à
travers laquelle surgissait une ville fantasmagorique.
- Il aimait le
monde, de la même façon que d'autres aiment les petits enfants, dit Wolf. Mais
je ne suis pas sûr qu'il fût heureux. Rappelez-vous que le Christ était
continuellement affligé et que sans cette affliction le christianisme serait
impensable.
Il ajouta
ensuite:
- J'ai toujours
pensé que la vie semblait être un voyage en train, cette lenteur de l'existence
personnelle, enfermée dans un mouvement extérieur frénétique, l'apparente sécurité,
cette illusion de la continuité. Et puis, en une seconde, comme par inadvertance,
un pont se brise ou un rail cède, et se
produit l'interruption du rythme , que nous appelons la mort."
Laissons donc les fadaises insupportables des publications contemporaines, réinvestissons du temps et du respect dans ces auteurs qui, avec les classiques, sont les seuls qui vaillent.
Laissons donc les fadaises insupportables des publications contemporaines, réinvestissons du temps et du respect dans ces auteurs qui, avec les classiques, sont les seuls qui vaillent.
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