La langue a un rôle dans les fonctions du goût, de la déglutition, et de la parole. Intéressons-nous à cette dernière fonction afin d'éviter les excès de la deuxième.
Youtube est une
chaîne qui a le mérite de les comporter toutes, jusqu'aux télévisions turkmènes
les plus censurables. On peut y trouver également des émissions radiophoniques de
choix. J'ai pourtant l'impression, sans doute tronquée par mon exil, que l'on
parle désormais français comme les milliers de vaches espagnoles que l'on
sacrifie quotidiennement à Guijuelo. Un tour d'horizon succint me servira à
aiguiser mon propos. Voici ce que j'ai d'abord pu noter chez
l'ex-interlocutrice de Feu Philippe Muray, transfuge du Marché de poissons de Rungis, Élizabeth Lévi:
"je ne veux pas que nos auditeurs vous mal comprennent". Je ne sais
pas si l'adverbe "mal" peut ici s'antéposer ou si le verbe malcomprendre
existe. C'est trop léger pour que l'on s'en offusque. D'ailleurs, je ne
m'offusque de rien. Passons.
Puis vient
l'interview de Nadège Polony à Mélanchon. Je pensais justement que ces deux là
se mal comprenaient. Mais pas du tout. Ça rigolouille. Ça franchouillise même.
On ne se tire pas dans les pattes. Loin de là. Mélanchon nous la joue même
plutôt technocrate. Quoiqu'il laisse entrevoir un amour des livres "Ben,
il faut aller chercher un peu dans les bouquins" puis de la vie citadine
"J'aime les ville, j'ai droit j'veux dire", pour conclure par son
manque d'originalité intrinsèque mais assumé : "Des gens comme moi y'en
avait plein". J'ai alors cru qu'un zapping immédiat s'imposait. Je cliquai
donc sur une autre émission de Madame Polony, qui recevait Pierre de Villiers,
superchouan converti dans le chouinement cathodique. On remarque chez Florent
de Villiers, une manie du "quoi", que les gens de ma génération ont
tendance à utiliser à outrance. On lui pardonnera. Puis le même politique avoue
à sa Poloniaise préférée que ses confrères "ils ont préféré la sphère du
mondialisme que l'intérêt supérieur de la France et des français." Ils ont
donc préféré le libéralisme que la tradition.
Je note
dans les reportages deux anglicismes fréquents. L'un, acceptable et rigolo.
L'autre incorrect. Prenons la phrase : "Elle était très excitée par ce
nouveau challenge". En anglais "excited" renvoie à l'exaltation,
la jubilation, l'équivalent du phrasal verb "to look forward" (avoir
hâte de) alors qu'en français l'aspect hormonal de la sensation n'est pas
négligeable et donne une tournure quelque peu pornographique au propos. Truffaut utilise par exemple l'adjectif dans une scène merveilleuse de l'Amour Conjugal où Léaud
fait semblant de lire un article totalement inventé à sa femme où il est
question d'une "call-girl excitée".
Les anglicismes
en français sont presque toujours incorrects, contrairement à leur usage dans
le français québécois ("game" "weird" "to check" etc.) Un verbe
anglais comme "to support" trouve un équivalent abusif avec
"supporter". Pour soutenir l'OM qui est si nul, on peut à la rigueur supporter
cette équipe. Mais soutenir nous permet de ne pas trahir le sens original et soutient mieux la comparaison.
Nul doute que
nous ne dirons bientôt plus "je me suis senti à l'aise" mais,
"je me suis senti confortable".
Le débat de la
primaire a également offert son lot d'irrégularités lexicales et grammaticales. Fillon: "Moi c'que j'veux"... et une tournure anglo-américaine juvéniste "C'est
juste pas acceptable (ici un "quoi" devillien aurait fait un bel
effet), "Ce deuxième tour, c'est pas un combat". Juppé: "Faut y
aller à fond!" "Droit dans mes bottes je suis, droit dans mes bottes
je resterai!" "Avec vous c'est la super pêche!". Du côté de Juppé, le message visait l'adhésion des jeunes. Chez Fillon, le Malparlé ciblait davantage les
campagnards syndiqués amateurs de Beaujolais.
Les spin-doctors ont retenu les leçons d'Outre-Atlantique, où un gueulard rougeot a su séduire la plouquerie collective en sachant fourcher sa langue par écrans interposés. En un mot, inutile de jouer aux bécasses subjuguées par une telle élection, quand celle qui se prépare en terre française laisse (déjà) un goût d'inachevé.