jeudi 3 septembre 2015

Le grand ménage





Ce matin, j’ai fait le ménage. 

Je fais partie de la première génération qui a pu échappé au service militaire, mais j’ai gardé l’habitude de frotter le sol et remuer la poussière sans ordre depuis en-haut dès mon plus jeune âge. Cela me permet également d’écouter de vieilles musiques oubliées sur ma radio, qui lit les Mp3. Emile et image ou Félix Gray font mon ravissement. Ça repose l’esprit. Cette déconnexion progressive des neurones est en même temps très utile. On sort de cette méditation avec un appartement remis à neuf, et des sols qui brillent et sentent le citron. 

C. a essayé de me pousser il y a peu dans une classe de méditation, c’était dans le sous-sol d’une entreprise de co-working. Des câbles pendaient au plafond, on aurait dit que nous allions entamé quelque orgie dans un hangar désaffecté ou un obscur shoot collectif. La vérité, c’est que nos actes semblaient prémédités par une loi tacite, celle qui consistait à ne pas laisser l’autre deviner nos multiples névroses. Cela ressemblait à une banale réunion d’alcooliques anonymes venus cette fois-là pour s’étirer les fesses. La pudeur qui émanait du groupe était forcée. J’étais sorti de cette première session plein d’idées sombres. Le discours du yogi ne m’avait pas plu. La respiration en kapalobati m’avait laissé plus nerveux que je lorsque j’était entré. Je suis persuadé depuis qu’un type de surventilation peut avoir une incidence néfaste sur l’anxiété. 

J’avais déjà essayé le kundalini avec une jeune psychologue, M.  recommandée par mon voisin, un peintre expressionniste qui travaillait dans un abattoir de nuit. M. était une jolie castillane, avec des rondeurs qu’excusait sa grande sensualité. J’admirais sa tonicité et sa manière d’enrouler sa serviette blanche autour de sa tête avant chaque séance. Une mèche dépassait parfois de ce fin tissu. À ses côtés, un type louche, qu’on devinait éperdument amoureux d’elle, assistait à ces galipettes mystiques avec passion. Son excès de zèle le trahissait. Je me souviens très bien du creusement des reins de M. quand elle nous faisait nous accroupir et faire des sortes de pilates mélangés à des salutations au soleil. Nous récitions des mantras le vendredi à 6h du matin, jusqu’à l’apparition du soleil, justement. Puis nous déjeûnions. Elle nous faisait du thé à l’orchidée sauvage. J’apportais quant à moi des pitchs fourrés au chocolat. J’y suis allé trois fois. Mais la paresse me gagna et j’oubliais bien vite ce devoir hebdomadaire sur moi-même. 


Je m’inscrivis une fois à la Bio Danza de l’association des voisins. Nous nous caressâmes la tête et dansâmes sur "Happy feet" dès le premier jour. Tant de proximité fit paradoxalement s’estomper toutes les pensées interlopes. J’eus néanmoins la bonne idée d’être le seul garçon, ce qui évita les jalousies et autres comparaisons mesquines. Quelques femmes en pré-retraite venaient s’ajouter à la fête et en sortaient revigorées. Elles allaient ensuite à l’herboriste de la même rue acheter du pain intégral et retrouvaient leurs maris dépressifs à la fin de la journée. Je les croisais parfois dans le centre ville, accompagnés de ces pauvres bougres, dans la routine de diverses courses. Nous échangions des sourires empreints de bieveillance et de compréhension mutuelle.

Mais j’ai délaissé la Bio Danza au bout de cinq sessions. Les maris nous surprirent en train de nous chatouiller les aisselles sur du Sting, car la monitrice avait laissé la porte entrouverte pour faire circuler l’air. Je ne voulais pas de conflits. Ma lâcheté fit le reste. Je m’éclipsai.

À présent, je médite une à deux fois par semaine avec ma serpillère et Emile et Image, avec cette sensation d’atteindre ce ramollissement jovial des sentiments tant recherché.

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