lundi 25 juillet 2016

Des voisins






Paradoxaux, ces Espagnols. Les Français ne leur inspirent rien qui vaille. Lors des tournois de football, ils sont soulagés de voir leurs voisins gaulois choir aussi bas qu'eux. Quand ils le peuvent, ils nous parlent des camions saccagés à la frontière franco-ibérique, au temps où les frontières existaient. Du chauvinisme franchouillard, quand le leur n'a pourtant rien à leur envier. Durant deux semaines, jusqu'à la tannée que leur a infligé la sélection italienne, des drapeaux rouge et or furent accrochés aux balcons des bas quartiers. On couinait sur les terrasses, devant les écrans HD, entre deux chasses aux Pokémons et des mioches hagards.

De tous les provinciaux, le castillan est le moins commode, le moins xénophile, avec quelques jolies exceptions pour compenser cette sécheresse, outre le cadre de la ville de X, l'une des plus belles de l'Histoire, et les jolies habitantes de ces terres, qui possèdent ce feu inconfondible. Berceau du franquisme, la Castille fut peuplée de paysans, de militaires et de curés durant des décennies. Elle s'est ouverte aux nouvelles libertés avec furie, enfin déliée, jusqu'à la crise immobilière.

Après l'attentat de la Côte d'Azur, en direct sur toutes les chaînes ibériques jusqu'à des heures avancées de la nuit, je me suis rendu à mon nouveau gagne pain, peu jovial, mais moins atteint dans ma chair qu'après celui de novembre. À dire vrai, je n'y pensais pas: plutôt mal réveillé ce jour-là, ce fut par l'effet d'un dîner tardif et non d'un zapping post-traumatique. La secretaire, Marta, pulpeuse et avenante, me sourit dès mon entrée. "Je suis désolée pour ce qui t'est arrivé" m'a-t-elle dit, me tendant un bouquet de glaíeuls blancs de "son jardin". "Que m'est-il arrivé?", me dis-je alors. La France ne méritait pas de gagner face aux portugais, chère Marta, si Gameiro avait joué et le petit Dembélé aussi, nous aurions pu leur en mettre trois, à Pépé et sa bande, mais là, le basque Deschamps l'a joué conservatrice, voilà tout... "Tu as notre soutien, Etienne", ajouta-t-elle en un français à la Victoria Abril.

Je me suis alors dirigé vers la porte de l'insupportable gnome qui me sert de chef, qui était en train de discuter gros sous, selon Marta, avec un proveedor, avec quantité de détails de la plus haute importance, dans une conversation qui meuble presque toujours les matinées de ce genre de cerveaux. Le chef coupa net son acolyte, m'apperçevant dans l'interstice de la porte. "Etienne, j'ai quelque chose pour toi!". Il sortit d'un tiroir une boîte de chocolats belges, et une bouteille de Rioja qui fit le plus bel effet sur son proveedor, qui m'a alors regardé avec un respect inédit, presque gênant, comme si mon génie lui fut soudain révélé.

Au sortir de mon gagne-pain, les bras serrant mes victuailles et mes fleurs, je me dirigeais vers le bus. Une ancienne proprio, la Señora Carmen, octogénaire, me fit un signe de la main. Elle était assise du côté des fossiles, sous la pancarte invitant les personne âgées à s'assoir sans siller parmi les corps prioritaires. Elle se confonda en excuses et me somma de prendre sa place. Je dus me résoudre à accepter, pendant qu'elle se levait, et se glissait entre deux usagers en débardeurs et une poussette où grognait un monstre prêt à nous rendre le voyage impossible. À mon arrêt, la Señora Carmen clama: "Que Dieu te protège ainsi que les tiens!" et je m'en fis à mon destin, le coeur rendu léger par tant de sacrifices.



Je ne savais pas pourquoi la Señora Carmen, jadis si pingre et si déplorablement intrusive, avait été si gentille ce matin. Je gardais le souvenir d'une vieille folle déblatérant sur le prix des ampoules. Je m'approchais de mon édifice et je croisai Manuel et sa compagne. Cet étudiant en informatique et sa bien aimée m'attendaient à mon étage "depuis plus d'une heure", pour m'offrir une tarte aux pommes et des buñuelos, sortes de profiterolles enrobés de miel. "Nous sommes désolés pour ce qui vous passe là-bas! Viens prendre un pot chez nous quand tu le souhaites!".

Mes nouveaux amis m'accompagnèrent jusqu'à ma porte, et la fille - masseuse de profession - ajouta: "dis à ta novia qu'elle vienne avec toi cette semaine, nous vous ferons des massages gratuits à tous les deux." Je pensai qu'il y avait peut-être anguille sous roche mais je me tus, empli de gratitude.



J'entrai enfin dans mon nouvel appartement et allumai la radio, épuisé, m'informant du décompte des morts, et m'attristai pour la première fois de la journée, face aux denrées offertes toute la matinée et que je ne tarderais pas à engloutir, si Dieu le souhaitait.

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