lundi 4 juillet 2016

De nouveaux fouets







     Les élections ont offert un verdict qu'il faudrait savoir interpréter convenablement. Podemos a perdu un million de votes. Comme dirait Achille Talon, "je m'en tamponne le coloquinthe avec le pinceau de l'indifférence", mais, comme exilé interdit de vote, je suis en droit d'émettre une opinion réfractaire à cette réalité. La lecture du dernier article de Perez Reverte dans El País consolide mes doutes. Selon l'auteur, les espagnols se sentent moins humiliés par le plébiscite des votants d'un parti entièrement corrompu que par la défaite des leurs contre l'Italie lors de la Coupe d'Europe de football. Une population qui se goinfre de programmes propagandistes et de télé-réalité à longueur de journée ne peut pas en sortir indemne. Certes, voter Podemos, ce n'est pas du tout rejoindre l'axe du bien. Le cynisme de ce nouveau parti, le seul conciliable avec les affaires de politique, existe. Mais celui du Partido Popular, érigé sur les bases du franquisme, l'est à un degré inégalé.

      Houellebecq a sans doute raison quand il dit, dans la dernière entrevue qui lui est faite dans le même journal, que "les Espagnols se haïssent. Les Français aiment se critiquer mais détestent que les autres s'en chargent." Il y a une indéniable composante masochiste dans la population espagnole. Les Français peuvent voter pour un gredin du type Sarkozy mais ils l'éjecteront tôt ou tard, au moindre Bigmalion, à la moindre enveloppe suspecte. Encore que... Les Espagnols les plus imbibés de franquisme, qui sont néanmoins minoritaires, assument les idées de vol institutionnalisé, de corruption, de mal aux dépens de toute tentative de changement. Ils pestent devant un pauvre bougre recyclant ses bouteilles de verre, à cause du bruit occasionné, et de l'idéologie qu'implique son geste, trop progressiste. Ils sont conservateurs par foi. Je crois également déceler chez ces êtres les effluves d'un catholicisme intensément vécu et plus que jamais regretté.

       Puisque l'on parle de dictature, la revue d'histoire Clio me permet de mettre en perspective cette sombre réalité. Il s'agit selon moi de la meilleure revue espagnole. Un bijou du genre que je consomme quand je le peux. Aucune publicité ne vient l'entâcher. Le dossier que j'ai sous la main sur les comptes de Carmen Polo, la veuve de Franco qui reçut une pension plus élevée que les salaires des chefs du gouvernement qui se sont succédé (pas de s à "succédé" dans ce cas) à la mort du Caudillo, ce dossier disais-je, est un apport à la justice qu'on est en droit d'attendre. Lassé de ces turpitudes acceptées par tout le monde, j'ouvre presque au hasard le Journal de Corrado Alvaro, "Quasi una vitta", dans la traduction de Claude Poncet et de Georges Pirouet, et je tombe sur ces mots:

        "En lisant les mémoires que publient les journaux sur le régime passé, la possibilité nous est donnée de juger cette époque et nous restons stupéfaits de ne pas trouver un seul personnage qui, tenant entre ses mains le destin d'un peuple, ait agi autrement qu'inspiré par la mesquinerie et j'irais jusqu'à dire la puerilité. Quand on pénètre de semblables secrets, communs d'ailleurs à César ou à Napoléon eux-mêmes, on est frappé de la petitesse des motifs qui ont décidé du sort des peuples entiers: les femmes, l'égoïsme familial, la rivalité entre amis, la haine des amis d'autrefois. Le pouvoir, quand le bon sens des citoyens ne le modère pas, a son péril fatal dans une sorte d'érotisme du commandement. Tous les souvenirs que j'ai lus jusqu'ici font voir l'histoire du régime comme une histoire érotique. Le despotisme politique porte au despotisme sexuel. L'ordre des choses est renversé: les jeunes, au lieu de se donner du bon temps, comme il appartient à leur âge, souffrent et meurent dans les guerres, et les vieux singent la jeunesse."

Le châtiment recherché par une grande partie de la population de ce pays me fait penser à ce client de Belle de Jour qui gronde Catherine Deneuve pour ne pas avoir su l'humilier convenablement, en suivant les formes prescrites. Salo de Pasolini ne montrait pas autre chose que cette réalité sauvage qui pousse les hommes à vouloir sans cesse être châtiés par les mêmes fouets et par des bourreaux reconnaissables.

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