jeudi 29 septembre 2016

Éloge de la fuite





« […] Quelle abomination pour moi que ces soirées, par bonheur comptées, au cours desquelles on effleure entre inconnus maints sujets n’ayant pour quiconque de véritable attrait que celui de s’entendre parler, de tenir sa partition dans le concert rapidement aussi ennuyeux qu’il se peut ; et Dieu sait que lorsque se présentent de telles situations, j’y tiens la mienne de la façon la plus lamentable, empêché de toute sincérité, de tout élan devant l’indifférence générale présidant à ce genre de rencontres, au reste la plupart du temps fortuites. Combien parfois n’ai-je pas rêvé de faire un esclandre, de déclarer bravement à ces mollusques qui m’entouraient que leur compagnie était pour moi sans intérêt, ni à eux la mienne, et qu’en conséquence mieux valait nous séparer sur le champ ; mais la courtoisie, il va de soi, me retenait. Chacun consent donc à être inférieur à lui-même avec engourdissement, jusqu’à ce que quelqu’un ait enfin l’esprit de lever le camp, ce à quoi tout le monde s’empresse sans rechigner. Se trouverait-on dans ces séances face à un génie qu’il nous semblerait plat comme un guichetier ou que nous ne douterions pas même de sa présence. Il n’y a d’entretien d’un peu de sens et de profondeur que dans le tête-à-tête. Le tiers vient toujours en amenuisement. »


(Louis Calaferte, Etapes, Carnets VII, 1983)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire